Quand Amy enfile ses habits d’auteure

goutted'eauRetz a lancé l’an dernier la collection « Histoires à écrire » destinée au Cycle 2. Il s’agit de grands albums sans texte, offrant une trame narrative et accompagnés de nombreux outils de préparation et d’aide à l’écriture.

Ma classe s’est lancée dans un projet d’écriture long avec pour support l’album « La petite goutte d’eau ». Il s’agit du voyage autour du monde d’une goutte d’eau qui, poussée par le vent, découvre de nombreux pays. Je n’entrerai pas dans le détail de la démarche, dont vous pouvez prendre connaissance sur le site des éditions Retz (et que d’ailleurs je n’ai pas suivie à la lettre).

En revanche, j’ai trouvé très intéressante, et même spectaculaire par certains aspects, l’évolution des productions d’Amy au fil des séances.


goutte-parisLa petite goutte d’eau arrive à Paris.
La petite goutte d’eau a peur d’être éclatée sur la tour Eiffel.

Pour cette entrée en matière, Amy reste assez factuelle. Les deux phrases produites sont juxtaposées, et le sort de la goutte d’eau reste indéterminé, implicite. Pas d’interaction avec les Parisiens.


goutte-afriqueLa petite goutte d’eau arrive en Afrique.
Les Africains veulent que la petite goutte d’eau vienne
arroser leur baobab.

Dans ce deuxième chapitre, Amy met en mots une intention des personnages  (« les Africains veulent »), mais la scène n’aboutit pas vraiment…


goutte-chineLa goutte arrive en Chine.
Les Chinois veulent que la petite goutte d’eau arrose leur champ.
Les Chinois disent : « Viens nous aider ! »
La petite goutte d’eau veut partir loin d’ici.
Et le vent emporte encore la petite goutte d’eau.

Chapitre 3 : Les Chinois expriment un souhait, en style direct. La goutte d’eau fait connaitre son refus, et pour la première fois la scène connait une conclusion explicite : le vent emporte la goutte d’eau. Ou plus précisément : le vent emporte encore la goutte d’eau : on se rend compte que pour Amy, cette action implicite du vent allait sans dire, dès le chapitre 1 !


goutte-oursLa petite goutte d’eau arrive au Pôle Nord. « Comme il fait froid ici ! » Les ours sont joyeux de voir la petite goutte d’eau.
Ils disent : « Viens jouer avec nous, on va te faire rencontrer le Père Noël ! »
La petite goutte d’eau refuse.
Et le vent emporte la petite goutte d’eau.

Amy fait s’exprimer tous les personnages au style direct, prête des sensations à la goutte d’eau et une humeur aux ours polaires. Le refus de jouer avec les ours est implicitement motivé (« Comme il fait froid ici ! »), et la conclusion s’inscrit dans une formule réitérée, typique des récits en randonnée.


Il manque la visite à New York et le retour au point de départ, mais déjà Amy est prête pour le Prix Goncourt !!

Je conclurai par quelques remarques en vrac :

  • L’écriture, dans un cadre très structuré, sécurisant, permet aux élèves de prendre leurs marques et de déployer leur imagination, d’abord de manière timorée, puis de manière beaucoup plus affermie et jubilatoire au fil des séances. C’est comme à la piscine : au début elle est froide, mais après elle est bonne !
  • Les moments de remue-méninges (en début de séance) et de lecture partagée (en fin de séance) nourrissent l’imagination, l’envie d’écrire, l’envie de faire « comme ». ils offrent des exemples d’utilisation d’outils de la langue (par exemple, le développement spectaculaire de l’écriture au style direct et de l’utilisation réussie des guillemets, pas seulement chez Amy mais pour toute la classe au cours de ce projet d’écriture).
  • On n’écrit jamais ex nihilo. Les échanges informels et horizontaux d’idées, de détails remarqués sur les illustrations, le « pillage » des bonnes idées qui se répandent comme une trainée de poudre, tout ce bouillonnement favorise et entretient le désir d’écrire. (Par exemple un élève m’a demandé comment ça s’écrivait, volley-ball. Un peu surpris, je lui ai demandé pourquoi : il m’a dit que les ours voulaient jouer au volley-ball avec la goutte d’eau. Idée reprise avec délectation par au moins six ou huit élèves).
  • Un tel projet d’écriture a été mené en un peu plus de deux semaines. Il me semble que c’est une limite supérieure au Cycle 2. Combien de projets ai-je commencé tambour battant et la fleur au fusil, au cours de ma longue carrière, et achevé dans la douleur, la démotivation et le désintérêt… Projets trop ambitieux, mal ficelés, menés un peu à l’aveuglette… Se montrer réaliste, modeste dans ses attentes, favoriser les interactions d’élève à élève … Voilà qui rend les projets plus aisés et plus agréables à mener.
  • La gestion de l’orthographe au moment même où on écrit a également changé la donne : pour ce projet, le contrat était clair : une séance – un chapitre – un premier (et unique !) jet prêt à saisir sur le clavier de l’ordinateur. Contrat exigeant, mais motivant, créant une dynamique à nulle autre pareille.
  • Enfin, me direz-vous, un tel projet en deux semaines ! Vous ne faites que ça ! C’est vrai, à cette période de l’année, le travail dans le fichier CLÉO est quasiment terminé, on a le temps de lire et d’écrire. Mais sinon, à quoi bon s’entrainer ?!
  1. Bonsoir,
    Un petit message pour vous dire que j’ai lu avec grand intérêt, et plaisir aussi, les textes écrits par Amy. Merci à vous.
    Elsa Bouteville (de la petite goutte d’eau)