Faut-il aimer écrire ?

1-lolaLa question est –bien sûr– provocatrice. Elle pourrait être reformulée ainsi : peut-on obliger les élèves à aimer écrire ? Pendant longtemps, il me semble que cette préoccupation a été centrale à l’école : comment donner le gout d’écrire ? On concevait des activités ludiques,  des jeux d’écriture, et l’on se plaignait que les élèves, trop souvent, n’aimaient pas écrire.

Les programmes 2016 introduisent une nuance qui n’en est peut-être pas une… Voici deux courts extraits pour le cycle 2 :

En écriture, au moins une séance quotidienne devrait donner lieu à une production d’écrit (élaboration d’un propos et rédaction).

Les occasions d’écrire très nombreuses devraient faire de cette pratique l’ordinaire de l’écolier.

L’ordinaire de l’écolier, une séance quotidienne… Ces mots ne sont pas anodins. Quand on écrit chaque jour, quand écrire devient presque aussi naturel que parler, quand on sait qu’au cours de la journée de classe, au moins une activité donnera lieu à de l’écriture, alors on ne se pose pas la question d’aimer ou de ne pas aimer écrire. On écrit.

Si je vous livre cette réflexion, c’est parce qu’hier j’ai été agréablement surpris de voir mes élèves se mettre à écrire sans rechigner pour une évaluation sur les dangers de l’électricité. En préparant le support A4 de l’activité, je m’étais interrogé sur la quantité d’écriture demandée. Était-ce trop ? J’avais prévu un questionnement très ouvert, le même pour les quatre situations à décrire. Trop peu d’étayage allait-il les décourager ?Et, rappelons-le, toute forme d’écriture dans ma classe va de pair avec l’activation de la vigilance orthographique au moment même où l’on écrit. Ce que les élèves pourraient considérer comme une contrainte supplémentaire. Or, seconde surprise agréable, tous les élèves, à deux exceptions près, ont écrit de manière substantielle. Leur ai-je donné le gout d’écrire ? L’envie d’écrire ? Le besoin d’écrire ? Pas si sûr…

À la vérité, je sais que certains de mes élèves aiment écrire, et j’en suis content pour eux. Mais je dirais que l’immense majorité ne se pose pas la question en ces termes : il ne s’agit pas pour eux d’aimer ou de ne pas aimer écrire. Mais les faits sont là : l’écriture est désormais leur ordinaire, leur quotidien ; de plus, ils ont intégré, bon gré mal gré, mes exigences en matière d’orthographe : on n’invente pas l’orthographe d’un mot, en cas de doute on vérifie avant d’écrire.

Alors bien sûr, souvent ils croient savoir, ils pensaient que, ils étaient sûrs que… Souvent, bien souvent encore, je souligne discrètement les erreurs et engage un micro-dialogue d’explicitation (en cas d’erreur sur laquelle on peut raisonner),  ou encore je pointe la référence sur laquelle s’appuyer : affichage, répertoire orthographique, mot écrit au tableau ou présent dans la question posée, etc.

Mais si au CE1 les effets de ces habitudes de travail me semblaient parfois fugaces ou inconstants, je peux témoigner qu’au CE2 la plupart des élèves sont capables d’adopter une attitude de vigilance orthographique pendant l’écriture et gagnent, parfois de manière très spectaculaire, en efficacité dans ce domaine.

Lola, par exemple, élève d’habitude peu sure d’elle, produit ce travail sans aucune intervention de ma part :

lola

Je constate également que Léo, pour lequel des troubles dysorthographiques sont en cours d’investigation, semble puissamment aidé par la démarche structurante et rassurante qui lui est proposée.

léo

Je vois aussi que pour beaucoup d’élèves, les questions d’orthographe verbale (notamment les redoutables finales en [e]) et d’homophones grammaticaux restent des zones d’ombre. Normal ? Sans doute, car ces questions n’ont pas fait l’objet d’efforts intensifs jusqu’à maintenant. Mais cela va changer, la seconde moitié du CE2 va creuser ces sujets dans tous les sens !

mia

Pour conclure, je voudrais vous soumettre cette question : un élève qui écrit peu souvent, qui n’est pas dans cette habitude d’écriture ordinaire, qui commet beaucoup d’erreurs lors du premier jet et qui voit son texte saturé d’annotations au stylo rouge, quelles sont les chances pour qu’il aime écrire ?

Mon hypothèse est que tous les élèves sont en mesure d’écrire sinon avec plaisir, du moins … sans déplaisir, quand les activités d’écriture proposées sont nombreuses, courtes, à leur portée, étayées, quand elles  ne provoquent pas de découragement et qu’elles renforcent le sentiment d’auto-compétence.

Dans cette perspective, le rôle premier de l’école n’est peut-être pas de donner le gout d’écrire à tous, mais d’abord … d’éviter d’en provoquer le dégout !