Lettre ouverte à Monsieur le Ministre

Monsieur le Ministre,

Je vous ai entendu vous exprimer à l’Assemblée Nationale, le 15 novembre, à propos des questions de l’écriture inclusive et de la règle du masculin l’emportant sur le féminin :

« Le seul arbitre, c’est l’usage, et c’est l’Académie Française. » Ce sont vos propres mots. Et votre phrase prouve bien que la langue, parfois, trahit celui qui en use. D’abord, j’attends de l’Académie Française un rappel à l’ordre : « Le seul arbitre » appelle un singulier, or si je vous comprends bien, le seul arbitre, ce sont en fait deux arbitres, l’usage et l’Académie.

grenouille

Notons d’abord une convergence de vue  entre vous et moi : effectivement l’usage est le premier des arbitres. Les évolutions du français se font malgré toutes les polices de la langue, tous les censeurs, tous les conservatismes. Sinon, nous continuerions à user du français délicieux de l’âge classique, celui de la Fontaine et de Molière, de Racine et de Corneille. Or, depuis cet âge d’or, le français a constamment évolué, et d’ailleurs souvent sous l’impulsion de l’Académie qui fit appliquer des réformes audacieuses et ambitieuses. Qui s’en souvient ?

Aujourd’hui, l’Académie est plutôt du côté du conservatisme. Certes, elle a fini par admettre Mme la Présidente, mais refuse écrivaine. Selon quelle logique, on se le demande encore. Force est de reconnaitre qu’au fil du temps, l’Académie s’est transformée en gardienne du dogme, alors qu’elle fut plusieurs fois dans son histoire, le moteur (la motrice ?) des évolutions de la langue.

Alors, oui, avec vous, j’applaudis à deux mains. L’usage est bien l’arbitre suprême, en matière d’évolution de la langue. C’est un rouleau compresseur auquel il est futile de résister. Et l’Académie est dans son rôle quand elle observe les usages, leur évolution, leur diffusion dans l’espace francophone, et qu’après mure réflexion, elle les avalise dans son dictionnaire.

En revanche, est-elle réellement dans son rôle quand elle interdit un usage ? C’est une hypocrisie totale de dire qu’en matière de langue, « l’usage tranchera », alors même qu’on tente d’interdire tel ou tel usage  !

On le constate : depuis de nombreuses décennies, l’Académie se comporte comme un Don Quichotte impuissant face aux évolutions des usages.

Alors, en fin de compte, qui est le seul arbitre ? Il nous faut trancher ! Pour moi, cela ne fait aucun doute, c’est l’usage. Je ne suis pas devin, j’ignore l’avenir de l’écriture inclusive. Peut-être s’étiolera-t-elle dans les années à venir, peut-être au contraire ira-t-elle florissant. Ni vous, ni moi, ni l’Académie n’y pourront rien. C’est l’usage qui aura le dernier mot. Et c’est très bien ainsi. C’est une forme de démocratie directe, peut-être une des seules qui subsistent : le choix souverain du peuple, ou devrai-je dire, des peuples qui ont le français en partage. Oui, c’est très bien ainsi.

Veuillez croire, Monsieur le Ministre, en mon amour immodéré pour la langue française.

Antoine Fetet