Le premier pas (qui coute)

TBeH_cpzCK3T9JJC2k3iKQPKwNsOui, il semble bien que ce soit veraiement [1121]  verraiement [fin XIIIe siècle] vraiement [1306] vraiment le premier pas qui coute. En 2008, j’écrivais une tribune pour le Café Pédagogique où je m’interrogeais sur les freins à l’adoption de l’orthographe rénovée.

J’y écrivais notamment :

Du côté des éditeurs, une certaine prudence est généralement de mise, même si certains signes encourageants apparaissent ici et là. Il existe probablement une crainte liée à des enjeux économiques, et la stratégie adoptée par ce milieu professionnel s’apparente à un attentisme prudent : si, un jour, les enseignants envoient un signe clair en faveur de la réforme, alors seulement on peut penser que la position des éditeurs a quelque chance d’évoluer.

Des signes clairs ont été envoyés par certains enseignants militant, contre vents et marées, pour l’évolution de l’orthographe, par exemple sur le blog de Charivari qui lança naguère une campagne bien suivie auprès des éditeurs scolaires.

C’est avec beaucoup de satisfaction que j’ai pris connaissance de la décision quasi unanime des éditeurs scolaires de passer à l’orthographe rénovée. L’écume des polémiques allait sans doute retomber… Enfin, c’est ce que je croyais ! En février, j’ai poussé ce (long) coup de gueule :

Allez, j’y vais de mon couplet sur l’orthographe… Je me retiens depuis plusieurs jours mais la cocotte-minute fait pschitt ! Que d’âneries, que de contrevérités, que de raccourcis, que de paresse intellectuelle dans ce que je vois passer…
Alors je me lance, je vous préviens ça être long…

1) Le rôle du ministère dans l’affaire est nul : ce sont les éditeurs de manuels scolaires (et encore pas tous) qui ont décidé, à l’occasion de la réforme des programmes prenant effet à la rentrée de septembre 2016, d’appliquer ces rectifications approuvées par l’Académie Française en 1990. Les éditeurs scolaires sont des entreprises privées, qui ont parfaitement le droit de faire ce qu’elles veulent. Tiens, bizarre, on n’entend pas se réjouir ceux qui habituellement accusent l’État d’imposer un carcan réglementaire à l’Entreprise… Une décision libre d’entreprises privées, j’ose me réjouir : Vive le libéralisme !

2) La préservation du Français, l’une des plus belles langues du monde (sic). Voilà ce que j’en pense : toutes les langues sont belles. Elles ont toutes une histoire, elles portent toutes une culture, elles ont toutes des mots pour dire « je t’aime », ou pour poétiser. Quel mépris pour les autres langues ! Quel mépris par exemple pour l’espagnol, l’italien et le portugais, qui, entre autres, se sont débarrassé des scories de leur histoire particulière pour devenir des langues fonctionnelles, sans perdre en rien leur beauté. « Farmacia » est-il réellement moins beau que « pharmacie » ? Demandez à ceux qui apprennent le Français Langue Étrangère ce qu’ils en pensent. Demandez-vous également pourquoi la diffusion du Français dans le monde tend à se réduire comme une peau de chagrin…

3) Le français serait dans un tel état de beauté, d’équilibre, pour tout dire de perfection qu’il ne faudrait surtout pas y toucher ! Et pourtant, dans l’histoire, notre langue a déjà connu des vagues de réformes beaucoup plus importantes que les quelques rectifications qui vont être appliquées. Vous voulez un exemple ? En voici un, je pense qu’il est parlant. Dans l’édition originale des fables de La Fontaine, on peut lire :
une Grenoüille vid un Bœuf
Qui luy sembla de belle taille.
Elle qui n’estoit pas grosse en tout comme un oeuf
Envieuse, s’étend, & s’enfle & se travaille
Etc.
Si la langue française eut un jour son heure de gloire, de rayonnement international, ce fut bien à l’époque classique : La Fontaine, Molière, Racine, Corneille… C’est donc ce français classique qui était proche de la perfection, non ? Alors, chiche, retournons à l’orthographe de ce temps-là ! Ben quoi, j’ai dit une connerie ?

4) Et pour en finir avec le nénufar : Ce mot a été rectifié à tort par l’Académie Française en 1935, par un linguiste croyant à son origine grecque. Que nenni ! Proust écrivait nénufar ! L’Académie française a écrit « nénufar » de 1762 jusqu’en 1935 ! Ce mot est d’origine « arabo-persane » (nīnūfar), aucune raison de l’affubler d’un « ph » et de l’envoyer se faire voir chez les Grecs ! Mais un bon nombre de mes contemporains, péremptoires, définitifs dans leur jugement, sous prétexte qu’ils l’ont toujours écrit avec « ph », jurent que c’est la bonne orthographe… Ils le savent car c’est comme ça qu’on leur a enseigné la chose. Dans une ou deux générations, les petits Français seront certains, eux, que ça s’écrit nénufar. Et ce ne sera pas plus mal d’ailleurs parce qu’eux AURONT RAISON !!

5) les rézosocio tendent le miroir à une époque décidément attristante : les rézosocio hurlent, après l’avoir entendu sur TF1, qu’on y court, au nivèlement par le bas, qu’on s’y précipite, à l’abêtissement des masses, qu’on s’y vautre, dans l’enfumage généralisé. Admettez avec moi que les exemples de ces maux tant redoutés foisonnent dans la prose des moutons de Panurge qui pérorent sur la question sans la moindre vérification, sans preuve, sans vergogne. Les contrevérités le disputent à la mauvaise foi et au mensonge, à la manipulation pure et simple. Alors que tout le monde crie haro, m’en fous, je crie hourra ! J’aime autant ma langue qu’un autre, mais je me réjouis qu’on trouve (modestement) le chemin de la réforme et de l’adaptation aux usages contemporains de cette langue. Souhaitons que la prochaine génération aura tout oublié de cette guéguerre stérile et pusillanime.

Et je ne puis m’empêcher de citer, pour finir, une chanson de Pierre Perret (qu’on ne vienne pas me dire que ce n’est pas un amoureux de notre langue 😉 ) :

Et quand malgré nos vieux réflexes
On posera plus nos circonflexes
Sur maitresse et enchainé
On fera un drôle de nez
Mais les générations prochaines
Qui mettront plus d’accent à chaines
Jugeront que leurs ainés
Les ont longtemps trainées
La réforme de l’orthographe
Contrarie les paléographes
Depuis qu’un l vient d’être ôté
A imbécilité.

Aujourd’hui, le calme semble revenu. Fin de la tempête dans la mare aux nénufars. Le printemps venu, on ne se pèle plus l’ognon. Tant mieux. Passons à autre chose, le débat est clos !