Je me suis jeté avec gourmandise sur les ressources d’accompagnement pour l’étude de la langue aux cycles 2 et 3 qui viennent d’être publiées.
Ces ressources étaient attendues, car les évolutions importantes portées par les programmes demandent des compléments, des précisions, et parfois des éclaircissements.
En tant que concepteur de manuels, en tant que formateur de terrain, je sais l’importance de cet accompagnement dans le domaine de l’étude de la langue. Les enseignants ont souvent été déstabilisés par les coups de balancier successifs que ce champ disciplinaire a connu depuis les années 1970.
Je viens de visionner une de ces ressources, et le premier motif d’étonnement est que ce module n’est pas incarné : l’anonymat règne. Qui a posé sa voix sur le diaporama ? D’où nous parle ce formateur, quel est son domaine d’expertise ? Est-ce une voix parmi d’autres ou LA parole officielle ?
Le deuxième motif d’étonnement est l’absence totale de références, d’apports théoriques, de bibliographie pour soutenir le propos. Dans ce module, qui présente en détail le déroulement d’une séance de recherche de 45 minutes au CE2, il s’agit pour les élèves de proposer le classement d’un corpus de groupes nominaux. L’objectif est clair : dégager un classement singulier / pluriel.
La première phase consiste à présenter rapidement le corpus sur lequel on va travailler. La voix off nous apprend ensuite que « la deuxième phase, d’une trentaine de minutes, est le cœur de la séance, avec le temps de recherche par deux pour permettre les échanges, base essentielle d’une séance de recherche en étude de la langue. Les élèves doivent donc se mettre d’accord, et regrouper les groupes nominaux, qui, pour eux, peuvent être mis ensemble. […] Il est important de favoriser la réflexion des élèves sans chercher à imposer une règle. »
Cette démarche est située clairement du côté d’une pédagogie constructiviste que je qualifierais de radicale : on va laisser l’élève tâtonner, explorer un corpus, proposer un classement sans que la visée du classement ne lui soit exposée. C’est une option possible, certes, mais qui a été remise en question par d’autres courants pédagogiques (l’enseignement explicite, pour ne citer que celui-là.) Ce disant, notez bien que je ne me situe ni dans un camp ni dans un autre : je note simplement qu’un choix essentiel n’est ni justifié, ni étayé. Et c’est fâcheux, car je suis convaincu que la formation doit se garder de toute forme de dogmatisme, même involontaire.
« Il est primordial, nous apprend la voix off, que le temps de recherche par deux soit d’une durée supérieure au temps de synthèse collectif qui reste, lui, un moment délicat pour les élèves. » Primordial… peut-être, mais pourquoi ? Un moment délicat pour les élèves… Sans doute, mais pour quelle raison ? Le discours est sous-tendu par des choix didactiques et pédagogiques, eux-mêmes intégrés comme allant de soi, qui ne sont pas présentés, validés, ni défendus, et c’est dommage.
Dans une troisième phase de réflexion collective, quelques-uns des binômes d’élèves viennent présenter à la classe le résultat de leurs recherches. On apprend « qu’on attend de la part d’élèves de CE2 en janvier qu’ils classent les groupes nominaux en deux familles : d’un côté, les groupes nominaux au singulier, et de l’autre les groupes nominaux au pluriel ». Derrière cette phrase, une réalité que je trouve paradoxale et pour tout dire … un peu glaçante : des CE2, en janvier, sont supposés proposer ce classement… mais l’enseignant se garde bien de préciser ce qu’il attend d’eux. Une conception du contrat didactique que je ne partage pas.
Sur douze binômes, dix proposent peu ou prou le classement attendu. Et ce qui devait arriver arrive : Le onzième propose un classement sémantique (objets de la classe / de la trousse / de la bibliothèque) et le douzième un classement selon des catégories non pertinentes (noms propres / noms communs). Ce sont ces deux derniers groupes qui seront choisis pour exposer en premier leur travail à la classe, et qui verront leurs propositions invalidées « rapidement » par leurs camarades.
Outre le fait que je me refuse à laisser des élèves suivre une fausse piste pendant 30 minutes, je ne pense pas qu’il soit opportun d’exposer des élèves à ce type de moment pénible où ils sont publiquement mis en difficulté face au groupe-classe. Dans de telles conditions, je préfère cent fois qu’on propose le classement d’élèves « virtuels », et que la réflexion ne soit parasitée ni par la stigmatisation, ni par la réputation (bonne ou mauvaise) des élèves choisis pour exposer leur travail. Principe de psychologie sociale qui me semble avant tout un principe de bon sens.
Bref, vous l’avez compris… je suis moyennement enthousiaste après ce premier « coup de sonde » dans les ressources publiées aujourd’hui.
J’attends mieux, j’attends plus de la part d’Eduscol pour soutenir et accompagner ces programmes audacieux et ambitieux.
J’attends des experts qu’ils se présentent en pleine lumière, qu’ils argumentent, qu’ils défendent leurs options, qu’ils montrent un peu (beaucoup) de passion, d’enthousiasme, d’engagement.
J’attends, dans le fonds et sur la forme, des modules stimulants (provocants pourquoi pas ?) ; j’attends un souffle, une étincelle, une énergie qui donne envie de comprendre, envie de se remettre en question, envie de tenter…
J’attends beaucoup, oui, je sais !
Le module en question :
Christelle Renoux a dit :
Rien cet été quand j’avais du temps et maintenant où je cours après le temps (déjà !), je n’ai pas encore été voir ces ressources. Ce que tu en dis ne va pas m’aider à dégager du temps pour aller voir.
Espérons que toutes les ressources ne sont pas comme celle-là.
Charivari a dit :
Merci pour cet article. J’ai une question un peu quiche : tu l’as trouvée où, cette présentation ?
antoine a dit :
Sur la page indiquée en lien au début de l’article, vers les deux tiers de la page : http://eduscol.education.fr/cid106031/ressources-francais-etude-langue.html
Marijo a dit :
Nous sommes avertis par un mail académique des dernières mises à jour. Je l’ai reçu la semaine dernière.
Prine a dit :
Aïe, je viens de regarder la vidéo sur « les verbes en deux morceaux » (sic). Une prof qui parle la plupart du temps, des élèves passifs, sauf pour ceux qui sont déjà intéressés par la conjugaison, on se demande bien comment font les élèves pas très scolaires pour s’approprier la notion. Dire que ces vidéos sont les seuls exemples de cours que les inspecteurs nous montrent comme étant normalement des cours qui fonctionnent! J ‘en suis désolée pour nos élèves et je ne comprends pas pourquoi nous n’avons pas encore trouvé de méthodes plus actives et efficaces…