L’accord du participe passé : la fin du cauchemar de vos nuits ?

freddy_nightmares_affL’accord du participe passé pose de redoutables problèmes ; malgré les efforts déployés entre le CM1 et la 3° du collège, bien des élèves ne parviennent pas à les surmonter à l’issue de la scolarité obligatoire. Il faut dire que le traitement traditionnel de cette question passe par la maitrise concomitante d’un nombre impressionnant de savoirs grammaticaux :

  • temps composés de l’indicatif conjugués avec avoir ou être
  • reconnaissance du COD, y compris sous la forme du pronom COD (qu’il soit personnel ou relatif). Les programmes 2016 ayant opté pour la dénomination « complément de verbe », la recherche et la reconnaissance du COD ne sont de toute façon plus à l’ordre du jour…
  • tournure passive
  • forme pronominale (avec distinction entre verbes essentiellement et accidentellement pronominaux)

Pourtant, il existe une procédure unique qui permet d’assurer l’orthographe du participe passé en s’appuyant non sur une analyse grammaticale mais sur la compréhension fine de la phrase dans laquelle le participe est inséré. C’est cette procédure qui est privilégiée dans CLÉO car elle permet, dès le CM1, d’assurer l’accord du participe passé dans tous les cas de figures, ou presque. Elle n’a rien de révolutionnaire, puisqu’on en trouve la première mention dans un ouvrage publié en … 1754 :

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Opuscules sur la langue françoise , par divers académiciens [M. l’abbé de Dangeau, M. l’abbé de Choisy, M. Huet, M. Patru, M. l’abbé d’Olivet]- B. Brunet (Paris) – 1754. (On appelait « participe passif » ce qu’on appelle aujourd’hui « participe passé ».)

Si l’on demande, comme ont fait quelques grammairiens, pourquoi le participe se décline [= s’accorde], lorsqu’il vient après son régime [= son complément] ; et qu’au contraire, lorsqu’il le précède, il ne se décline pas : je m’imagine qu’en cela nos Français, sans y entendre finesse, n’ont songé qu’à leur plus grande commodité. On commence une phrase, quelquefois sans savoir quel substantif viendra ensuite. Il est donc commode, pour ne pas s’enferrer par trop de précipitation, de laisser indéclinable un participe, dont le substantif n’est point encore annoncé, et peut-être n’est point encore prévu.

Quelques exemples ne seront sans doute pas de trop pour apprécier tout le sel de cette explication !

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Au moment où l’auteur de ces phrases en écrit les trois premiers mots, j’ai acheté…,   il n’a pas encore écrit ce qu’il a acheté  : le participe passé ne peut donc s’accorder avec un complément encore non exprimé.

Si l’on symbolise par une flèche la relation qu’entretiennent participe passé et COD, cette flèche va systématiquement vers la droite.

 

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Dans ces phrases, au contraire, les fruits achetés apparaissent avant le participe passé : dans la mesure où le doute n’est plus permis sur la nature des achats, on accorde donc le participe passé avec le complément.

Et dans ce cas, la flèche symbolisant la relation qu’entretiennent participe passé et COD va systématiquement vers la gauche.

Cette explication est d’un grand intérêt pédagogique, car elle met à la portée des élèves une justification sémantique qu’ils peuvent élaborer de manière autonome.

De plus, cette procédure ne se limite pas aux phrases comportant un COD.

Observez ces diverses constructions :

passifindicatif présent, tournure passive : au moment d’écrire réparée, on a déjà écrit ce qui est réparé : on accorde donc le participe passé avec ta montre, sujet de la phrase.

auxetrepassé composé, auxiliaire être : au moment d’écrire tombée, on a déjà écrit ce qui est tombé : on accorde donc le participe passé avec la pomme, sujet de la phrase.

pronom2forme pronominale, cas 1 : au moment d’écrire peignée,  on a déjà écrit qui s’est peigné : on accorde donc le participe passé avec elle, sujet de la phrase.

pronom1forme pronominale, cas 2 : on n’a pas encore écrit, au moment d’écrire brossé, ce qui a été brossé : le participe passé ne s’accorde donc pas.

La procédure ne nécessite pas de passer par la reconnaissance de la construction verbale, ni de l’auxiliaire, ni du COD, ni du sujet. La question que l’on se pose ne relève pas de compétences syntaxiques mais d’une compréhension fine de la phrase : Quelque chose (ou quelqu’un) est réparé (ou tombé, ou brossé, ou peigné), de quoi, de qui s’agit-il ?  Ce nom, ou ce pronom, est-il placé avant ou après le verbe ?

S’il est placé avant, il impose sa marque d’accord au participe passé

S’il est placé après, alors le participe passé ne peut s’accorder avec lui.

Grâce à cette procédure, les élèves pourront assurer l’orthographe du participe passé dans quasiment tous les cas, y compris les constructions passives ou pronominales, bien qu’elles ne soient pas au programme du cycle 3.

Alors, finis ces vilains cauchemars  ?

  1. C’est une véritable révélation ! Et aussi la preuve que lorsqu’on essaie d’apprendre une règle sans la comprendre, c’est voué à l’échec. En effet, je crois que cette règle est la plus bafouée de la langue française. Si elle avait été enseignée telle que vous nous la présentez, il en aurait été différemment ! Il n’est pas trop tard !
    Merci M. Fetet pour vos recherches, pour ce partage et pour Cléo !

  2. C’est en effet un excellent moyen pour trouver le bon accord mais…. cela nécessite une bonne compréhension de la phrase. Et souvent, ces élèves qui sont capables d’avoir cette bonne compréhension de la phrase sont ceux qui sont capable de reconnaître un COD, y compris s’il est placé avant 😉

    Mais c’est très intéressant et cela ne coûte rien d’essayer 😀

    • Une bonne compréhension de la phrase, certes. Mais sans compréhension, point de maitrise de la langue, et les mécanismes enseignés tournent alors à vide.

  3. Geminislinger a dit :

    Suis prof de français. Faut voir. Le fait est qu’il faut quand même comprendre le lien entre les mots de la phrase et que le problème des verbes pronominaux à COI est « oublié ». Parce que bon…. »elle s’est reprise »…. »elle s’est terminée » mais pas « elle se sont succédées », pourquoi (dans cette logique) ? Après tout, moi je suis toujours partant pour simplifier les choses mais faut pas me dire non plus que c’est LA solution à tous les problèmes. « Regarde où sont assises les filles ! » Oui la langue française est sympa….

    • En tant que concepteur de manuel, j’essaie de regarder les choses avec pragmatisme : il est incontestable que la démarche passant par l’analyse grammaticale ne fait pas (plus ?) la preuve de son efficacité, malgré le fait qu’on y consacre beaucoup de temps aux cycles 3 et 4. Je préfère une démarche s’appuyant sur le sens à un ensemble de règles que bien peu de francophones maitrisent réellement… « Le problème des verbes pronominaux à COI est « oublié » », dites-vous. Non, pas oublié, les programmes 2016 demandent explicitement de se focaliser sur les régularités de la langue. Les cas exceptionnels ne font pas l’objet d’un enseignement, mais d’un effort de mémorisation si leur fréquence le nécessite.

  4. J’utilise cette technique depuis plusieurs années et elle fonctionne généralement bien. Un peu plus ardue à mettre en place avec les verbes pronominaux ou les phrases du type « L’eau a gelé « cette nuit, car les élèves vous disent « mais on sait ce qui est gelé, c’est l’eau ! » Dans ce cas, on se raccroche à « Elle a froid » / « L’eau est froide ». 😉

  5. En rééducation, je raconte aussi aux enfants que ces règles avaient été établies pour faciliter la vie des moines copistes et traducteurs. Ainsi, cela leur évitait d’avoir à raturer sur un support si précieux à l’époque : la feuille ou le parchemin (pas de Tipex, pas d’effaceur, pas de touche « supprimer » à l’époque pour corriger un accord…)

  6. Merci pour cette explication limpide. Comme beaucoup, je suis persuadée qu’enseigner la grammaire et l’orthographe en les présentant comme des règles arbitraires qu’il faut suivre sans se poser de question est voué à l’échec. À présent, on comprend la méthode pour accorder le participe correctement, mais aussi – et c’est peut-être le plus important – la raison de cette délicate règle. Je vais en faire la démonstration à mes élèves et transmettre ces informations à l’équipe de lettres de mon établissement.