Aller-retour en Corée

Que savons-nous de la Corée ? Peu de choses, le plus souvent. On en connait généralement plus sur la Corée du Nord que sur la Corée du Sud, régime oblige…

J’ai le bonheur pour ma part d’avoir deux petits-enfants Franco-coréens, et cela m’a conduit bien sûr à m’intéresser à leurs deux langues. Un jour, ils apprendront à écrire le Hangul (système d’écriture syllabo-alphabétique) qui a des caractéristiques très particulières.

Comme je l’ai expliqué brièvement dans un chapitre précédent, chaque caractère hangul est circonscrit dans un carré, et code une syllabe le plus souvent composée de deux ou trois phonèmes.

Voici comment les petit·e·s Coréen·ne·s apprennent à lire et à écrire : à partir de l’âge de 4 ans, ils/elles se familiarisent avec les syllabes écrites élémentaires (structure CV, consonne/voyelle) et mémorisent leur pendant sonore, sans les analyser au niveau phonémique.

Un peu plus tard, vers 5 ans, les enfants découvrent des syllabes plus complexes de type CVC (consonne/voyelle/consonne), toujours appréhendées sans entrer dans le détail des phonèmes qui les constituent.  À l’entrée à l’école élémentaire, la plupart des élèves sont capables de lire des mots simples. La patiente familiarisation avec les structures syllabiques du coréen permet à chacun·e de découvrir, à son rythme, comment les graphèmes et les phonèmes se combinent, à l’écrit et à l’oral.

Ce n’est qu’en première année d’école élémentaire qu’il est demandé de « connaitre les noms et les valeurs isolées des caractères Hangul, comprendre la relation entre les sons et la notation, utiliser correctement les signes de ponctuation, les lettres et les caractères » [curriculum sud-coréen, 2015].

Voici quelques exemples d’activités préscolaires (pour enfants de 4 à 5 ans) en Corée :

apprendre à écrire la syllabe « ga »
apprendre à écrire la syllabe « ga »

de « gabang » (cartable),

de « gawi » (ciseaux)

de « gaji » (aubergine)

colorier les aubergines

et écrire la syllabe

« ga » de « gaji » (aubergine)

sur les pointillés

repérer la syllabe « ga »

dans « gabang » (cartable)

« gamyeon » (masque)

« gajae » (écrevisse)

« gawi » (ciseaux)

écrire la syllabe « ga »

dans « gabang » (cartable)

« gawi » (ciseaux)

« gamyeon » (masque)

« gajae » (écrevisse)

écrire la syllabe « ga »

de « gawi » (ciseaux)

 

 

Même s’il existe des différences évidentes entre le coréen et le français, il nous apparait que la pédagogie de la lecture-écriture pratiquée en Corée peut être une source d’inspiration précieuse, car elle repose sur des principes universels :

  • respecter le développement cognitif de l’enfant ;
  • s’appuyer sur les unités les plus faciles à percevoir ;
  • ne pas faire de choix didactiques risquant de pénaliser une proportion importante d’élèves.

Quels enseignements tirer pour l’enseignement du français ?

Le récent guide « Pour préparer l’apprentissage de la lecture et de l’écriture à l’école maternelle» (Eduscol, 2020) met l’accent sur la nécessité de lier les activités phonologiques à la découverte de l’écrit :

« La prise de conscience phonologique ainsi que la compréhension du principe alphabétique sont travaillées conjointement et en complémentarité, en tenant compte de l’âge des élèves et de leurs capacités motrices, visuelles et cognitives. La connaissance des lettres implique que l’élève apprenne le nom, le tracé et le son de la lettre, non pas de manière successive mais dans une modalité d’aller-retour. »

C.L.É.O. GS a été conçu autour d’un matériel unique et polyvalent, la fiche-mot référent, qui permet les allers-retours entre oral et écrit.

Les fonctions de ces fiches sont nombreuses :

  • Tout d’abord, elles permettent d’associer le sens d’un mot inconnu (ou mal connu) à son nom, ce qui favorisera l’enrichissement et la consolidation du lexique.
  • Elles constituent également un outil de catégorisation (noms d’animaux, de personnes, noms concrets, verbes, adjectifs…).

  • Ensuite, ces fiches présentent chaque mot dans les trois graphies (capitale, scripte et cursive), de manière parfaitement alignée sur le plan vertical, facilitant la reconnaissance et la comparaison des lettres dans les trois alphabets.

  • Elles présentent systématiquement le découpage syllabique de manière discrète, tout en respectant la graphie habituelle des mots, notamment en cursive (aucun espace artificiel entre les syllabes).
  • Ce découpage syllabique est un outil puissant permettant la comparaison de syllabes dans plusieurs mots :

  • Il permet également le prélèvement de syllabes dans des mots pour écrire d’autres mots, et facilite la planification méthodique de la tâche d’écriture (repérage, puis mise en mémoire de l’orthographe de chaque syllabe).


Quels bénéfices escompter de cette attention soutenue à l’organisation syllabique du français écrit ?

Différentes études1 ont montré que les apprenti·e·s lecteurs et lectrices sont sensibles à la segmentation syllabique dès l’entrée dans l’étude de l’écrit : comme nous l’avons vu, la syllabe est le pivot central du français, oral comme écrit.

Décoder de manière experte consiste à segmenter habilement des groupes de lettres formant des syllabes, prononcer (ou subvocaliser) ces syllabes et accéder au sens du mot. À la charnière GS-CP, plus le bagage de syllabes mémorisées est important, meilleures seront les chances d’automatiser rapidement le décodage des mots. En effet, beaucoup d’élèves se perdent dans la fusion successive des 4 à 10 graphèmes/ phonèmes (parfois plus) composant un mot. La tâche est à la fois trop morcelée et trop couteuse en mémoire de travail. Les élèves perdent le fil de leurs efforts et oublient au fur et à mesure le résultat des fusions successives.

C’est une difficulté que les orthophonistes connaissent bien et pour laquelle a été conçue une technique de remédiation chez les élèves en échec dans l’apprentissage de la lecture : cette technique, l’imprégnation syllabique2, consiste à mémoriser non pas des relations entre graphèmes et phonèmes, mais des associations syllabes orales/syllabes écrites. La mémoire de travail étant moins sollicitée, les élèves parviennent mieux à apprendre à déchiffrer. Leurs progrès s’appuient sur un accès automatisé en mémoire des syllabes de base, permettant une fusion des syllabes sans saturation de la mémoire de travail.

C.L.É.O. GS permet de s’appuyer sur le même principe… sans attendre que les élèves soient en échec d’apprentissage.


Pour conclure…

Avec C.L.É.O. GS, les élèves entrent dans l’écrit en manipulant, à l’oral comme à l’écrit, les unités les plus accessibles : les syllabes.

Les syllabes orales, faciles à segmenter, à manipuler, à repérer dans la chaine parlée sont mises en correspondance avec des syllabes écrites, faciles à repérer sur les fiches-mots référents.

Les nombreuses activités proposées permettent la familiarisation avec les syllabes orales et écrites les plus abordables, et assureront leur association en mémoire en respectant les capacités cognitives de tou·te·s les élèves.

Ces premiers apprentissages constitueront, le moment venu, le marchepied pour entrer dans le niveau d’analyse plus abstrait de la correspondance entre phonèmes et graphèmes.

Les deux niveaux d’analyse, syllabique et phonémique, coexisteront à la charnière GS/ CP, ce qui permettra aux élèves de décoder leurs premiers mots sans mise en échec prématurée, et dans le respect du rythme de chacun·e.


Nous voici parvenus à la fin de cette série d’articles.

Merci pour les témoignages d’intérêt que vous m’avez fait parvenir. Et n’hésitez pas à me faire part de vos commentaires afin de poursuivre l’échange !


 

1 Voir, par exemple, Doignon-Camus, N., D. Zagar, D., « Les enfants en cours d’apprentissage de la lecture per- çoivent-ils la syllabe à l’écrit ? » Canadian Journal of Experimental Psychology, vol. 60, n° 4, 2006. [retour]

 

2 Garnier-Lasek, Limprégnation syllabique, Ortho édition, 2012.[retour]

  1. Christophe Gaufichon a dit :

    « On en connait généralement plus sur la Corée du Nord que sur la Corée du Sud, régime oblige… »
    Ne serait-ce pas le contraire ? On connaît plus le sud que le nord non ?

    • Eh bien… Pour ma part je connaissais bien peu de choses sur la Corée du Sud avant de connaitre la compagne de mon fils. Mais cela dépend sans aucun doute de l’expérience de chacun !